vendredi 17 octobre 2014

Virginia Woolf – Colloque de Cerisy


Couverture de Pierre Bernard – Photo Roger Viollet

Cet ouvrage est la retranscription des actes du colloque qui s’est tenu au Centre Culturel international de Cerisy-La-Salle, dans la Manche, du 20 au 30 août 1974, sur le thème :
VIRGINIA WOOLF ET LE GROUPE DE BLOOMSBURY

Les débats animés par Jean Guiguet sont nourris de communications de Peter Fawcett, David Garnett, Gabriel Merle ou encore Marie-Paule Vigne, et parmi les nombreux participants, on peut citer Viviane Forrester, Hermione Lee, Clara Malraux et Françoise Pellan.

Il s’agit d’un livre publié par l’Union Générale d’Editions, au 2ème trimestre 1977,  dans la collection 10-18. A ma connaissance, c’est la seule édition qui existe de ce Colloque de Cerisy.

Dans son Introduction Jean Guiguet relève l’intérêt croissant que suscite l’œuvre de Virginia Woolf, non seulement dans les milieux universitaires mais aussi et surtout dans le grand public. Ainsi les tirages de « To the Lighthouse » atteignirent seulement 11 673 exemplaires pour les trois années qui suivirent sa publication en 1927 alors que de 1965 à 1967,
152 913 exemplaires furent édités…

Il ne faut pas oublier que dans les années 20, les livres se vendaient par milliers et non par centaines de mille comme aujourd’hui. Par exemple la Chambre de Jacob s’est vendue à 1 413 exemplaires la première année en
Angleterre et Mrs Dalloway à 2 236 exemplaires…


Jean Guiguet, oppose Bloomsbury à la Nouvelle Revue Française animée par Jean Paulhan. Pour lui, le groupe de Bloomsbury, n‘existe pas en tant que force politique ou mouvement philosophique structuré, c’est simplement un cercle d’amis qui échangent des idées…

En plus des communications documentées et intéressantes, les débats sont éclairés par les anecdotes ou les faits historiques rapportés, comme lorsque Clara Malraux évoque sa rencontre avec Virginia qui participait assidument au Congrès des Ecrivains à Londres, en 1936, en compagnie de Léonard Woolf et d’Etienne Forster.

Ce qui est frappant pour le lecteur d’aujourd’hui c’est de constater que les grands spécialistes de Virginia Woolf des années 1970, et Jean Guiguet le précurseur était un des plus éminents, connaissaient très peu de choses sur elle. Ils ne disposaient pas encore de l’intégralité du journal de Virginia ni de sa correspondance notamment avec Vita Sackville West ... Leur principale source d’informations sur Virginia était la biographie 
écrite par son neveu Quentin Bell qu’ils considéraient tous comme le Messie…  Et dont ils avaient impatiemment attendu la parution  du 1er tome en 1972, la version française sera éditée par Stock en septembre 1973.

Dans sa communication, Peter Fawcett insiste sur la grande attirance du groupe de Bloomsbury pour la France. Tous issus de la grande bourgeoisie et des bancs de Cambridge, ils connaissaient parfaitement la littérature française, classique et moderne et montraient un grand attachement pour la France que d’aucuns comme Clive Bell ou Roger Fry considéraient comme leur seconde patrie. Lytton Strachey faisait autorité pour la littérature française des 17ème et 18ème siècles et les membres du groupe qui considéraient André Gide comme un des leurs s’étaient 
enthousiasmé pour A la recherche du temps perdu. Virginia écrira en octobre 1922 à Roger Fry : « Ma grande aventure est en vérité Proust. Or, qu’est-ce qui reste à écrire après cela ? »

Ensuite, un autre écrivain anglais, David Daiches, livre une étude originale de l’œuvre de Virginia Woolf, sous l’angle topographique. Il montre ainsi l’imbrication étroite de la ville de Londres avec la construction romanesque de Mrs Dalloway. Virginia qui n’hésitait pas à se définir comme une
 intellectuelle qui habite à Bloomsbury, avait un sens aigu de l’atmosphère sociale et culturelle des différents quartiers de Londres.

C’est un livre intéressant par la variété des intervenants et la qualité des recherches menées sur l’œuvre de Virginia Woolf que je recommande aux Woolfistes chevronnés…



Vendredi 17 octobre 2014

lundi 15 septembre 2014

Elles


                                       Couverture de l’édition imprimée en août 2012


Elles est un sympathique petit ouvrage publié en septembre 2012
par Rivages poche dans la collection Petite Bibliothèque. Il s’agit
d’une collection de portraits de femmes réalisés sous forme de
courts essais par Virginia Woolf au fil des années et des articles
qu’elle écrivait.

Les six textes présentés dans ce recueil sont :
- Les lettres de Dorothy Osborne ;
- Mary Wollstonecraft ;
- Dorothy Wordsworth ;
- Geraldine et Jane ;
- Sara Coleridge ;
- Madame de Sévigné.

Virginia avait déjà rassemblé les quatre premiers essais dans The
Common Reader : Second Series, paru en 1932 et publié en français
en 2008, aux éditions L’Arche, sous le titre Comment lire un livre ?

- Les lettres de Dorothy Osborne reprend l’article de Virginia : Letters
of Dorothy Osborne to William Temple paru en octobre 1928 dans le
New Republic puis dans le Times Literary Supplement. Dorothy
Osborne est née en 1627 à Chicksands dans le Bedfordshire,
dans une grande famille noble. Après avoir refusé une longue série
de prétendants, Dorothy Osborne épousera en 1654 Sir William
Temple, l’homme qu’elle aimait depuis 1647 et qui lui fit une cour
clandestine de longue haleine et en grande partie épistolaire.  C'est
pour ses lettres à Temple, qui étaient pleines d'esprit, d’engagement
et de résistance à la pression sociale que le souvenir de Dorothy
Osborne est toujours vivace. 77 de ses lettres sont conservées à la
British Library.


- Mary Wollstonecraft : cet essai paru en octobre 1929 dans Nation &
Athenaeum puis dans le New York Herald Tribune.
Mary Wollstonecraft, née le 27 avril 1759 à Londres et morte le 10
septembre 1797, est une femme de lettres et une fameuse féministe
anglaise. Au cours de sa brève carrière, elle écrit des romans, des
traités, un récit de voyage, une histoire de la Révolution française et
un livre pour enfants. Elle est surtout connue pour l'ouvrage :
Défense des droits de la femme qui est un violent pamphlet contre la
société patriarcale de l’époque. Mary Wollstonecraft fut très attirée
par les idées de la Révolution française et sa vie sentimentale fut
relativement libre. Après différentes aventures, elle épousera le
philosophe William Godwin, un des fondateurs du mouvement
anarchiste. Elle mourra à l'âge de trente-huit ans, dix jours après la
naissance de sa deuxième fille qui deviendra célèbre sous le nom de
Mary Shelley.

- Dorothy Wordsworth ; cet essai paru en octobre 1929 dans Nation
& Athenaeum puis dans le New York Herald Tribune, une semaine
après l’essai consacré à Mary Wollstonecraft.
Dorothy Wordsworth  est née le 25 Décembre 1771 à Cockermouth,
dans le Cumberland en 1771. Elle était la sœur du poète William
Wordsworth et tous les deux furent inséparables toute leur vie.
Dorothy Wordsworth qui avait un grand sens de l’observation
naturaliste n'avait pas l’ambition d'être un auteur. Ses écrits se
composent d'une série de lettres, d’entrées de journal, de poèmes et
de nouvelles.

- Geraldine et Jane ; Cet essai reprend l’article de Virginia consacré
à Geraldine Endsor Jewsbury paru en février 1929 dans le Times
Literary Supplement puis dans la revue The Bookman à New York.
Geraldine Endsor Jewsbury est née en 1812 à Measham, dans le
Derbyshire. Férue de journalisme, Geraldine est surtout connue pour
ses romans populaires tels que Zoe : l'histoire de deux vies et ses
critiques pour le magazine littéraire Athenaeum.  Elle ne s’est jamais
mariée mais elle avait beaucoup d'amis et de connaissances. Elle a
entretenu une relation extrêmement étroite avec Jane Carlyle, une
remarquable épistolière et femme d’esprit mariée à l’essayiste
Thomas Carlyle. Geraldine se sentait très attirée par Jane et la
complexité de leur relation se reflète dans la correspondance de
Geraldine Endsor Jewsbury.

Les deux derniers textes de ce recueil ont été publiés à titre
posthume, en 1942, par la Hogarth Press dans le recueil The Death
of the Moth and Other Essays mais ils n’ont pas été repris dans
l’édition française « La mort de la phalène » en 1968. Ces deux
derniers essais sont donc inédits en français.

- Sara Coleridge ; L'essai sur Sara Coleridge, fut écrit en Septembre
1940, pendant les accalmies entre les vagues de bombardement
allemand sur le Sussex. Sara Coleridge, née le 23 Décembre
1802 à Keswick dans le Cumberland était traductrice et auteur de
contes.  Elle était surtout  la seule fille du poète Samuel Taylor
Coleridge et à ce titre elle consacra une partie de sa vie à la tâche
épuisante de l'édition des œuvres de son père. Sara Coleridge est
morte à Londres le 3 mai 1852. En hommage à Sara, sa fille
publiera en 1873, Mémoires et lettres de Sara Coleridge. 
Les lettres montrent un esprit cultivé et contiennent de nombreuses
critiques d’ouvrages et d’auteurs connus comme Wordsworth et les
poètes du lac.

- Madame de Sévigné : Marie de Rabutin-Chantal, épouse Sévigné,
dite la marquise de Sévigné, née le 5 février 1626 à Paris, est une
femme de lettres, célébrée en son temps comme femme
d'esprit mais non comme épistolière hors du commun, c'est dans
sa correspondance avec sa fille que Madame de Sévigné offre
l'exemple d'une œuvre involontaire : l'important pour elle était de
rester en relation avec sa fille vivant en Provence.
La correspondance de Mme de Sévigné avec sa fille, Françoise-
Marguerite de Sévigné, comtesse de Grignan, s’effectua à peu près
pendant vingt-cinq ans au rythme de deux ou trois lettres par semaine.
Les lettres de Mme de Sévigné firent  l’objet d’éditions successives
en 1725, en 1734, puis en 1754. On connait aujourd’hui 1 120
lettres de Madame de Sévigné mais certaines ont été remaniées
ultérieurement et d’autres détruites…


Virginia Woolf dresse un portrait très amical et compréhensif de ces
femmes qui ont eu le courage de s’engager dans la vie et dans les
mots. Elle parle notamment avec beaucoup de chaleur de
l’enthousiasme inaltérable de Geraldine Endsor Jewsbury qui semble
la plus éloignée des hauteurs de Virginia mais dont elle fait revivre
les passions avec la juste couleur de l’émotion.

Merci Virginia, c’est un régal !


Samedi 13 septembre 2014

jeudi 8 juillet 2010

Orlando


Couverture de l’édition argentine de 1937


Après La Promenade au Phare publié en 1927 par la Hogarth Press, Virginia Woolf se sentait très fatiguée aussi Orlando intervient comme un intermède récréatif à la fin de cette même année 1927.
Le point de départ du livre qui est une sorte de conte gothique est l’amour que porte Virginia
à Vita Sackville West. Virginia s’est notamment inspiré de l’épisode où Vita travestie en homme emmenait à l’hôtel son amie intime Violet Trefusis. Ce roman que Virginia entrepris comme un exercice de style en hommage à Vita eut finalement un certain succès car après sa parution, le 11 octobre 1928, il se vendit mieux que les trois (grandes) œuvres précédentes de la romancière.


Un livre qui comme les précédents, est largement inspiré de la vie de Virginia, même si là ce sont les relations de l’écrivain et non plus l’entourage familial qui alimentent les portraits. Comme le rappelle Diane de Margerie dans sa préface à l’édition française de 1974 : « Nigel Nicholson (le fils de Vita) n’a pas tort d’appeler Orlando une lettre d’amour à Vita, et Quentin Bell (le neveu de Virginia) avait déjà insisté sur l’intérêt biographique de cette œuvre. »



- La 1ère traduction en français d’Orlando par Charles Mauron sera éditée par Stock en 1929, puis rééditée en 1983, 1990 et 1992. Cette même traduction sera reprise dans le 2ème tome de L’œuvre romanesque publiée par Stock en 1974, avec une remarquable préface de Diane de Margerie.

- La deuxième traduction d’Orlando sera l’œuvre de Catherine Pappo-Musard en 1993 pour le recueil « Romans & Nouvelles » publié dans la collection Pochothèque du Livre de Poche, avec une préface de Pierre Nordon


Un livre qui raconte l’histoire épique du Chevalier Orlando qui traverse les siècles sans vieillir et qui à mi-parcours devient une femme.

Alors que Diane de Margerie insiste beaucoup sur le dilemme identitaire que connaissait la romancière et décrit Orlando pratiquement comme une thèse sur l’androgynie, Pierre Nordon
semble plutôt considérer que c’est plutôt une farce, ce que semble confirmer les propres écrits de Virginia qui regrettait même d’y avoir passé trop de temps.

Personnellement, j’ai un peu de mal avec Orlando, comme d’ailleurs avec les contes gothiques de Karen Blixen. Et puis je trouve que Orlando qui , à l’image de son modèle Vita Sackville West, devrait être un grand amoureux à la sensualité affirmée et dévorant la vie avec passion est une vraie nouille, froid comme un hérisson polaire et pour tout dire complètement asexué.

En fait je trouve qu’Orlando au lieu d’être androgyne est plutôt privé de sexe, comme la plupart des personnages de Virginia qui elle-même n’a pas vécu une grande sexualité.

En dehors de l’aspect divertissant, je considère Orlando comme une curiosité intéressante d’un point de vie bibliographique dans ce sens qu’il illustre la grande capacité de Virginia Woolf à maitriser tous les aspects de l’écriture sans jamais oublier de poser quelques questions fondamentales comme celle de la coexistence de caractères féminins et masculins chez chacun d’entre nous…

Vendredi 9 juillet 2010

jeudi 13 mai 2010

L’œuvre romanesque - vol 2



L’œuvre romanesque publiée par Stock n’est plus disponible

depuis longtemps chez l’éditeur. On peut la trouver sur les sites

Internet, dans les librairies spécialisées dans les livres anciens

ou chez les vendeurs de livres d’occasion. Je crois même que j’ai

trouvé un des volumes au Marché aux Puces de Saint Ouen.

Le premier des trois volumes est le plus facile à trouver, par contre

souvent les jaquettes sont abimées ou manquantes.


J’aime bien mon volume 2 qui a été personnalisé par un certain John.

Sur la jaquette, il a inscrit « To Marie Lou » et sur la page de garde :

« Pour Marie - Lou -

Ses isles

les vagues

les actes

les autres

le vent - viendra

John

noël 1974 »



Je trouve que c’est très émouvant de retrouver ces deux volumes

ainsi offerts et dédicacés, il y a trente ans, par un Anglais à une

Française qui a d’ailleurs oubliée une lime à ongle cartonnée,

de couleur jaune, à la page 61…


Le deuxième volume édité en 1974, commence, comme le premier,

par une remarquable préface de Diane de Margerie. Il comprend

les trois romans qui ont suivi « La promenade au phare »

A savoir : Orlando, préface de Diane de Margerie et traduction

de Charles Mauron ;

Les vagues : préface et traduction de Marguerite Yourcenar ;

Entre les actes : préface de Max-Pol Fouchet et traduction

de Charles Cestre.


Ce volume initial de l’œuvre romanesque m’a donc permis de

découvrir la première traduction d’Orlando, par Charles Mauron

publiée chez Stock en 1929, 1983, 1990 et finalement en 1992

dans la collection « La Cosmopolite ».


Ensuite viendra la nouvelle version de Catherine Pappo-Musard,

avec une préface de Pierre Nordon pour le recueil édité en 1993

dans la collection Pochothèque et qui sera reprise ensuite dans

les différentes éditions d’Orlando en Livre de Poche.


Comme d’habitude, c’est avec la traduction initiale, de C. Mauron

que j’ai pris le plus de plaisir.


La préface de Diane de Margerie - dont j’ai découvert par hasard

qu’elle était également une grande spécialiste de Proust – est un

tel régal que je ne peux m’empêcher d’en donner un extrait ;

- Diane de Margerie commence par citer Virginia Woolf :

« Une biographie est considérée comme complète lorsqu’elle rend

compte simplement de cinq ou six Moi, alors qu’un être humain peut

en avoir cinq ou six mille. »


- Puis elle conclut :

« C’est bien là une constatation de Virginia, pour qui toute réalité

est insaisissable et peut-être surtout celle qu’elle aurait voulu, plus

que toute autre, pouvoir capter – la réalité féminine. »




Vendredi 14 mai 2010

mercredi 7 avril 2010

Une prose à l’épreuve du réel - Trois interventions à propos de Virginia Woolf


Couverture de l’édition originale de 2003


Cet ouvrage de Dominique Hénaff est intéressant

et original car il procède d’une étude philosophique

de trois des principaux ouvrages de Virginia Woolf :

La Promenade au phare, les Vagues et Entre les actes.



Ce livre publié en 2003 par l’éditeur lyonnais Horlieu éditions

est la compilation de deux interventions de l’auteure à des

séminaires de travail sur la philosophie qui se sont tenus à Lyon,


en 1993 : « La Promenade au phare de Virginia Woolf –

Transcendance ou généricité » ;


puis en 1994 : « Communauté du vrai, déliaison – Virginia Woolf

et l’exposition de la langue comme merveille »


et en 2000, un essai (épuisé aujourd’hui) également édité par

Horlieu : « Changer le désastre en catastrophe - Virginia Woolf

dans le siècle »


Comme j’ai éprouvé de grandes difficultés à suivre l’analyse

philosophique de Dominique Hénaff visant à démontrer le

platonisme de Virginia Woolf, je préfère laisser l’auteure

présenter son ouvrage :


« Peut-être que ces trois textes n’existent — modeste témoignage —

que pour saluer la jeune Virginia Stephen. Elle qui traînée de force

dans une soirée mondaine par un demi-frère équivoque qui voulait

se faire « mousser » (Girl is phallus), déclarait benoîtement à un

parterre d’inénarrables Ladies l’interrogeant sur son activité

quotidienne (jouez-vous de la musique, faites-vous du tricot ?)

qu’elle passait son temps à lire Platon :


« Moi je lis Platon. Et vous-même, vous ne connaissez pas ?

Comment peut-on vivre sans avoir lu Platon ? ».


Car elle savait, la jeune Virginia, que la question philosophique

dernière — tramée dans des systèmes de pensée d’une complexité

inouïe — est bien celle-ci : qu’est-ce que vivre ?


Qu’est-ce que vivre, non simplement dans le train du monde comme

il va, mais aussi en exception à la platitude répétitive et oppressive

des jours, quand vous transit l’éclair extatique d’une vision, ou que

la certitude patiente d’un travail à venir vous saisit.


Le long détour soustractif d’une pensée œuvrante, noué à la

surrection extatique d’une contemplation, dans la traverse active

et instruite du monde, tel aura été ce « quelque chose d’abstrait,

dans les landes, dans le ciel », que Woolf disait chercher, dans le

compagnonnage de Platon, Lucrèce, Shakespeare, Dante, et

quelques autres.


Ces trois conférences se seront essayées à en retrouver l’écho.

Non pour « rationaliser la machine inhumaine » qui conduit notre

incertain aujourd’hui, mais pour l’inciser de ce fragment que

l’artiste de prose anglaise nous aura légué, à nous qui durons,

toujours. » Dominique Hénaff.




A ma connaissance, la très jolie édition de 2003 n’est pas encore

épuisée et on trouve également des exemplaires

en excellent état sur différents sites de livres d’occasion.


C’est un livre d’un accès difficile pour les non spécialistes

mais qui enchantera surement les lecteurs possédant les clés

de la démarche et du vocabulaire philosophique.


Mercredi 7 avril 2010

dimanche 28 mars 2010

Journal de Virginia Woolf, Tome 1


Couverture de l’édition française de 1981

Alors que Stock a publié en 2008 une magnifique édition intégrale
en un seul volume de « The diary of Virginia Woolf » traduit par
Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre sous le titre :
« Virginia Woolf Journal intégral 1915-1941 »
J’ai choisi de plonger dans la vie de Virginia à travers la version du
Journal en huit volumes, éditée en France par Stock, à partir de
1981, dans la superbe collection « Nouveau Cabinet Cosmopolite »

Je trouve en effet que la lecture d’un gros volume de 1558 pages
est fort malcommode et je n’apprécie guère les petits caractères
imprimés sur du papier à cigarette qui sévissent également dans les
belles collections Bouquins ou de La Pléiade.
J’ai donc choisi la forme la plus confortable et celle qui me permet de
me sentir plus proche de Virginia et de ses cahiers originaux.


Le tome 1 de « The diary of Virginia Woolf » a donc été édité par
The Hogarth Press en 1977. C’est un véritable travail de famille,
car l’éditeur est Anne Olivier Bell, les droits appartiennent à
Quentin Bell et à sa sœur Angelica Garnett (qui était belle comme
un ange quand petite elle rendait visite à sa tante Virginia).
La remarquable traduction publiée par Stock, en 1981, est de
Colette-Marie Huet.

Ce tome initial comprend un arbre généalogique très détaillé de la
famille de Virginia, suivi d’une introduction de Quentin Bell, le neveu
de Virginia auteur de la biographie de référence.
Le volume se termine par la très intéressante liste fort détaillée des
trente carnets de Virginia qui constituent son journal.
Ces cahiers font partie de la collection Berg déposée à la bibliothèque
publique de New-York.

Ce volume comprend les années 1915, 1917 et 1918. En 1916 Virginia
était malade et n’a pas pu tenir son journal.

Contrairement aux autres journaux, essais ou documents que j’ai pu
lire de Madame Woolf, où elle ne semble vivre que pour nourrir son
œuvre littéraire je suis frappé par une sorte d’insouciance, comme si
Virginia n’était pas encore complètement habitée par son art.

Elle est très libre dans son journal, très proche de son futur lecteur
mais dans ses premières années, elle se concentre sur la cueillette
des champignons, le rituel du tea dont elle fait un grand usage et
une vie sociale relativement importante, même quand elle vit à la
campagne, elle fait et surtout elle reçoit de nombreuses visites.
Elle s’inquiète beaucoup de ce que Léonard écrit ou hésite à écrire,
comme une bonne épouse un peu maternante.

C’est vrai qu’en 1915, Virginia n’a que 33 ans et qu’en dehors de son
journal, elle utilise surtout sa plume pour son travail de critique au
Supplément Littéraire du Times.

Curieusement, dans ses cahiers intimes elle ne parle jamais de son
premier roman, The Voyage out et elle se contente de très brèves
allusions au deuxième, Night and day, qu’elle est en train d’écrire…
Ainsi le 2 janvier 1915 : « Léonard et moi nous remettons tous deux
à nos griffonnages…je fais environ quatre pages de l’histoire de la
pauvre Effie »

Elle parle très librement et très simplement d’elle, du premier jour
de ses règles qu’elle passe couchée, d’un cors au pied ou d’un
moustique qui lui dévore les orteils…

C’est comme si elle était simple et naturelle pour son corps et sa vie
quotidienne et extraordinairement sophistiquée pour les choses de
l’esprit et redoutablement exigeante pour les capacités des autres.

Elle vivait d’une façon plutôt moderne car elle était équipée du
téléphone et elle semblait apprécier de prendre des bains.
J’ai également pris conscience de l’importance de la musique dans
sa vie. D’après son journal elle allait très facilement et fréquemment
au concert.

Virginia a toujours été exigeante avec son art. Le 6 janvier 1915,
elle note :
« J’ai écrit toute la matinée avec un plaisir infini, ce qui est curieux,
car je n’oublie jamais qu’il n’y a aucune raison pour que je sois
contente de ce que j’écris, et que dans six semaines, ou six jours, je
le trouverai détestable. »

Par contre, elle laisse libre cours à sa causticité et à ses incroyables
descriptions des faiblesses de la nature humaine qu’elle semble
relever avec une délectation infinie.

Je trouve que Virginia est pleine d’humour. Elle a un talent particulier
pour faire ressortir le ridicule et quand elle voit des « intruses » dans
sa bibliothèque londonienne préférée, cela donne ceci :
« La Day’s, à quatre heures de l’après-midi, est le rendez-vous
d’élégantes qui veulent qu’on leur dise ce qu’il faut lire. Je n’ai
jamais vu une bande de créatures plus méprisables. Elles arrivent
couvertes de fourrure comme des phoques et tout aussi parfumées que des civettes… »

Pour finir je citerai une dernière fois Virginia, elle qui savait faire
dire aux mots plus que ce qu’ils étaient. Le 29 janvier 1915, elle décrit une journée sans évènement notable :
« La journée est un peu semblable à un arbre sans feuille : elle
comporte toutes sortes de nuances, si on la regarde de près. Mais le
dessin général est plutôt dépouillé. »

Comme j’ai pris énormément de plaisir à lire ces trois années de la
vie de ma reine Woolféenne je ne peux résister à la volupté des mots
de Virginia :

"Nous devons modeler nos phrases,
jusqu'à en faire l'enveloppe
sans épaisseur de nos pensées."


C'est magic,
Woolfic.


Dimanche 28 mars 2010

vendredi 5 février 2010

VIRGINIA WOOLF trois ou quatre choses que je sais d'elle


Couverture de l’édition française



Cet ouvrage de Claudine Jardin est intéressant à deux

titres, d’un point de vue historique et pour la façon

très vivante dont l’auteur qui est journaliste raconte

sa Virginia Woolf en soulignant avec une remarquable

précision les temps forts de l’existence de la romancière

anglaise.


J’ai appris des détails importants sur la vie de son entourage,

aussi bien ses parents que sa sœur chérie ou même sur son

rapport avec la psychanalyse, ainsi que son entrevue avec

Freud.

Et puis il faut dire que Claudine Jardin a le talent de faire

revivre Virginia et de mettre en relief les aspects atypiques

de sa personnalité qui en faisaient le charme mais aussi

qui la condamnait comme Proust à une vie solitaire,

vouée à l’écriture et aux mots.


C’est d’ailleurs en lisant Claudine Jardin que j’ai appris que

l’enregistrement de Virginia par la BBC, intitulé « Words Fail

Me » qui figure dans la note précédente intitulée « Les mots

de Virginia » est la seule trace conservée de la voix de ma

Woolfette suprême.


Il s’agit d’un livre publié en 1973 par les éditions Hachette,

avec un magnifique cliché de Gisèle Freund illustrant la

couverture.

Comme le fait remarquer Claudine Jardin dans sa préface,

il s’agit seulement du troisième ouvrage français consacré

à Virginia après ceux de Jean Guiguet et de Monique Nathan.


Pour écrire cet ouvrage qui est à mi-chemin entre l’essai et la

biographie, l’auteure s’est principalement référée à la somme

magistrale de Quentin Bell, publiée un an auparavant et au

« Journal d’un écrivain » qui est l’extrait littéraire réalisé par

Léonard Woolf à partir du journal intégral de Virginia.


Grace à Claudine Jardin, Virginia revit au fil des pages et

nous l’accompagnons :


Par exemple en s’appuyant sur La Promenade au Phare

elle évoque magnifiquement Leslie Stephen, le père :

« Ses filles sont aussi des femmes. Il a droit à leur charme,

à leur sourire et il exige leur approbation. Aussi, quand il ne

l’obtient pas, il cherche à dire quelque chose de gentil.

Pardonnez-moi, aimez-moi. Voilà ce qu’il enfouit sous n’importe

quelle petite phrase anodine. Comment alors lui résister ?

Comment combattre ce qui est bien une tyrannie ? »



Claudine Jardin montre bien l’importance de Thoby,

le frère disparu trop tôt qui fut « l’homme de sa vie »

Elle fait également, à plusieurs reprises, le parallèle, à mon sens

justifié, entre la vie de Madame Woolf et celle de Marcel Proust :

« Pour Proust, comme pour Virginia, les jours heureux de

l’enfance formaient non seulement la seule période bénie de la vie,

mais la clef de toute recherche sur eux-mêmes »


L’ouvrage nous montre le regard aigu et souvent tranchant

que porte Virginia sur les autres. En juin 1919, elle avait assisté

à Richmond à un défilé de la paix qui lui était apparu comme

« un festival pour domestiques » !

Elle était parfois très dure, surtout avec les femmes…

En 1923, quand on lui présenta Alix, la belle sœur de Lytton

Strachey, Virginia eut ces mots cinglants : « Oh, oui, Alix,

je sais tout de vous. Vous passez simplement tout votre temps

à danser et vous sombrez dans l’imbécilité à chaque instant. »



Virginia était assurément snob, mais elle qui a côtoyé les plus grands

personnages de son temps, comme Keynes ou Churchill, sans parler

de Freud qu’elle rencontra à Londres en 1939 et qui lui offrit une

fleur, se rend à son atelier d’imprimerie avec un air d’ange échevelé,

pieds nus dans de vieilles pantoufles, vêtue d’une chemise de nuit

déchirée, vaguement recouverte d’une robe de chambre…


Comme chez Proust, la maladie et le don semblent inséparables,

aussi malgré ses nombreuses connaissances évoluant dans le secteur

de la psychanalyse (comme son frère Adrian) Virginia ne voulu jamais

entendre parler d’une psychothérapie car elle était persuadée que sa

folie faisait partie intégrante de son génie




A ma connaissance, l’édition de 1973 est épuisée depuis

longtemps, mais on peut encore trouver quelques exemplaires

sur des sites de livres d’occasion.


C’est un livre très bien écrit et facile à lire qui donnera envie aux

Woolfistes débutants d’aller plus loin.

« La vie, plus de vie ! » disait Virginia.


Samedi 6 février 2010